La faim menace de nouveau au Burkina Faso

Caritas feeding centre for children and mums in Burkina Faso. Photo by Elodie Perriot/Secours Catholique

Caritas feeding centre for children and mums in Burkina Faso. Photo by Elodie Perriot/Secours Catholique

Le nord du pays fait partie des régions sahéliennes les plus touchées par la crise alimentaire. La Caritas nationale, l’Ocades, travaille à limiter les effets de cette nouvelle catastrophe en marche.

De notre envoyée spéciale

« Mon champ de mil a été dévasté par la sécheresse la saison dernière. Je n’ai pu récolter que quelques kilos alors que j’en produis plusieurs centaines normalement », relate François Merega, un agriculteur de Thiou, au nord-ouest du Burkina Faso. Assis dans la petite cour de sa maison, l’homme, la soixantaine, décrit la précarité dans laquelle il vit avec sa famille.

Devant le logis se dresse le grenier familial, fierté pour chaque agriculteur burkinabé. Depuis le mois de février, celui-ci est désespérément vide. « La dernière récolte n’a pas suffi à nourrir les quatorze membres de ma famille plus de quatre mois, explique François Merega. Depuis, nous sommes contraints d’acheter les denrées alimentaires sur le marché. » Or, en ces temps difficiles, les marchés sont eux aussi à court de céréales, faute de stocks disponibles. Et lorsqu’elles existent, les céréales affichent des prix inaccessibles aux petits agriculteurs qui composent plus de 80 % de la population du pays.

Le prix de la tine (unité de mesure burkinabé correspondant à environ 15 kg) a doublé, passant à 4 000 francs CFA (environ 6 euros) contre 2 000 il y a seulement quelques mois. « Une tine de mil me permet de nourrir ma famille pendant deux jours. Imaginez donc ce que je dois payer chaque semaine pour assurer trois repas à mes enfants et petits-enfants », s’inquiète François Merega.

La famille se met au riz, moins cher car subventionné par l’État. Elle compte également sur des activités de maraîchage. « C’est grâce au maraîchage que je peux encore acheter de la nourriture. » Mais la même préoccupation liée à la sécheresse demeure : « Cette année, à cause du manque d’eau, les rendements sont mauvais. »

Pour survivre, le chef de famille a dû réduire le nombre de repas quotidiens à deux, les adultes nourrissant en priorité les enfants. En dernier recours, il vendra son bétail pour acheter des vivres, mais cela risque de ne pas suffire. « La situation que nous vivons aujourd’hui est sans pareille par rapport aux années précédentes. Nous n’avons plus un sou », se désole-t-il.

D’après une étude réalisée en janvier par l’équipe locale de l’Organisation catholique pour le développement et la solidarité (Ocades, Caritas burkinabé) de Ouahigouya, couvrant la zone de Thiou, plus de 76 % des ménages avaient épuisé leurs réserves alimentaires, alors que les stocks sont normalement terminés à partir de mai. « La région est entièrement déficitaire, même dans les zones habituellement excédentaires », explique l’abbé Séverin Ouedraogo, secrétaire exécutif de l’Ocades Ouahigouya. « De ce fait, la majorité des villages sont très vulnérables face à la crise alimentaire. 85 % des populations que nous avons rencontrées avaient déjà réduit leur alimentation quotidienne en janvier. »

Lors de la dernière saison pluvieuse, la pluviométrie ne dépassait pas 460 millimètres, contre 600 à 900 millimètres les années précédentes. L’Ocades d’Ouahigouya a par ailleurs constaté une hausse des prix des céréales de 47 % entre mars 2011 et mars 2012. L’association estime que 75 % de la population a besoin d’une assistance jusqu’aux prochaines récoltes.

Globalement, la situation inquiète fortement l’abbé Isidore Ouedraogo, secrétaire exécutif de l’Ocades nationale, qui déplore le manque de fraternité. « Les commerçants sont des spéculateurs. Ils ont pompé le système libéral, que je considère comme sauvage, sans se préoccuper des populations. Je ne sais pas combien de familles pourront supporter une telle pression sur leurs ressources, si nous n’agissons pas immédiatement. »

Spectacle de désolation.

Cette insécurité alimentaire risque d’augmenter le nombre d’enfants souffrant de malnutrition. Un constat déjà établi par sœur Léa, responsable du Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle (Cren) de Kongoussi, dans la région de Kaya, au centre-nord du Burkina Faso. « Nous avions déjà accueilli une trentaine d’enfants souffrant de malnutrition sévère entre décembre et mars, contre 69 au total l’année dernière », précise-t-elle. Le personnel des Cren, structures gérées par l’Ocades, dépiste dans les villages les cas de malnutrition, enseigne de nouvelles techniques nutritionnelles aux parents et, pour les cas de malnutrition sévère, accueille les enfants et leurs accompagnateurs dans les centres afin de leur fournir des explications et un soutien nutritionnels.

Avec la crise alimentaire, l’Ocades nationale prévoit de venir en aide, à travers les Cren, à 21 500 enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition.

À quelques kilomètres de Thiou, le lac du barrage a considérablement rétréci cette année. Omar Ouedraogo s’efforce d’y maintenir son activité de maraîchage, unique source de revenus de sa famille. Ils sont une quinzaine comme lui à avoir été contraints d’avancer de plusieurs mètres leur périmètre maraîcher afin de se rapprocher de l’eau. « Nous arrivons tant bien que mal à poursuivre notre activité.

Malheureusement, nous manquons d’eau pour arroser nos plants et par conséquent la production est moindre », témoigne Omar. À cause de la sécheresse, l’homme, âgé d’une quarantaine d’années, affirme ne plus pouvoir assurer la scolarité de ses enfants et leur alimentation.
Même spectacle de désolation dans la région de Kaya, au centre de la région nord du Burkina. Pour accéder à la commune de Bouroum, aux portes du Sahel, les visiteurs empruntent une piste sur la digue, seule retenue d’eau de la commune. « Elle est asséchée depuis la mi-mars », précise Yoro Soumaïla Signam, le maire de Bouroum, qui estime à 60 % le déficit de production agricole de sa commune.

Selon lui, la situation de crise alimentaire chronique persiste depuis 2010. Cette situation est due à la pauvreté des sols mais aussi à l’insuffisance des structures hydrauliques. « S’il est vrai que les caprices pluviométriques et les ensablements des rivières peuvent être des raisons de l’insuffisance alimentaire, l’absence de maîtrise des eaux de surface qui s’écoulent dans nos rivières en est une autre », expliquait le maire dans un discours à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, le 24 mars. « Nous avons terriblement besoin d’un barrage », déclare-t-il aujourd’hui.

Orpaillage contre agriculture.

Conséquence directe de ces difficultés, de nombreuses personnes quittent la commune dans l’espoir d’un lieu meilleur, ou bien se lancent dans l’exploitation artisanale de l’or.

D’après une analyse du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), l’or représente près de 43 % des exportations du Burkina Faso et a rapporté 180 milliards de francs CFA en 2009 (environ 274 millions d’euros), ce qui en fait la première source de devises, avant le coton. Le ministère des mines burkinabé estime le nombre de sites artisanaux d’orpaillage à deux cents à travers le pays.

« Faute de productivité agricole, les habitants de la commune se tournent vers l’orpaillage, au détriment de l’agriculture, déplore Yoro Soumaïla Signam, le maire. Chaque jour, le phénomène s’amplifie. De nouveaux sites artisanaux apparaissent et les jeunes partent y travailler. Malheureusement, cela ne bénéficie pas à la commune, car le fruit de leur travail est dépensé dans les grandes villes comme Kaya ou Ouagadougou. »

Un phénomène qui compromet également les actions d’assistance à la population de l’Ocades. « Nous avons des difficultés à mettre en œuvre certains programmes faute de forces vives sur place, explique un membre de l’Ocades Kaya. Dernièrement, nous avons dû revoir la superficie d’un projet de bas-fond (Ndlr : zones humides cultivées) car il n’y avait plus de travailleurs locaux pour le réaliser. »

Pour contrer la pauvreté chronique dans la région, l’Ocades de Kaya apporte son soutien aux populations à travers des projets de maraîchages ou de cultures de contre-saison. À Tougouri, à quelques kilomètres de Bouroum, l’association a créé en 2004 un périmètre irrigué de riz paddy sur 20 hectares. Plus de 140 personnes, dont trois groupements féminins, y cultivent sur des parcelles individuelles et permettent ainsi à au moins 3 000 de leurs proches de s’alimenter convenablement. « Cette culture est plus rentable. Elle nous permet de récolter sur une surface inférieure à celle nécessaire pour la culture du mil », explique Ibrahim Frédéric Yameogo, l’un des exploitants. « C’est une grande richesse pour nous, car nous avons ainsi pu améliorer nos conditions de vie. Certains se sont acheté des charrettes grâce aux revenus du riz et nous arrivons à payer plus facilement les frais de scolarité. Depuis sa création, le périmètre a fait diminuer d’un tiers la faim dans notre village », estime-t-il. Les agriculteurs récoltent le riz deux fois par an, en saison sèche et en saison pluvieuse.

Malheureusement, les inondations de l’année 2010 ont endommagé la digue qui protège le périmètre, empêchant la culture en saison pluvieuse.

L’Ocades, qui intervient auprès de ces populations depuis plusieurs années, a débuté des programmes d’urgence au mois d’avril dans l’ensemble des régions en difficulté. Ils visent à améliorer la sécurité alimentaire de plus de 7 500 ménages dans 10 diocèses, soit près de 42 000 personnes, jusqu’en octobre, fin de la période de soudure. « Nous arrivons un peu tard, car de nombreuses familles n’ont déjà plus de ressources, mais le travail des ONG et le nôtre pourront limiter les effets de la crise », déclare le secrétaire exécutif de l’Ocades, l’abbé Isidore Ouedraogo.

Clémence Richard

 

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