Photo blog : A la frontière entre la Grèce et la Macédoine

Matthieu Alexandre/Caritas Internationalis

Matthieu Alexandre/Caritas Internationalis

La Macédoine n’est qu’à une heure de voiture du golfe de la mer Egée.

Le soleil n’est pas encore levé que nous croisons sur la route des files de migrants qui se dirigent vers la frontière. J’accompagne une équipe de Caritas qui va faire une distribution de denrées alimentaires.

Le poste frontière aménagé pour l’occasion près du village d’Idoménie est constitué en tout et pour tout d’une tente et d’une haie de barbelés. Ce check-point voisine les rails du chemin de fer qui mène jusqu’en Serbie. Des centaines de personnes dorment à même le sol, en travers des voies ferrées, d’autres sur les bords de la route. Certains sont équipés de sac de couchage, beaucoup n’ont que leur sac à dos dont ils se servent comme oreillers.

Le soleil pointe à l’horizon, des personnes émergent des quelques tentes dispersées ici et la. Alors que quelques-uns vont ramasser du petit bois pour allumer un feu, d’autres se rendent auprès des deux camions qui distribuent de l’eau et quelques menues denrées.

Matthieu Alexandre/Caritas Internationalis

Matthieu Alexandre/Caritas Internationalis

Un jeune est occupé à compiler des fiches d’identité pour les porter auprès des autorités. En effet, afin de pouvoir passer la frontière et embarquer à bord du train qui les emmènera jusqu’en Serbie, les migrants doivent se présenter par groupe de cinquante personnes, après avoir renseigné une fiche et rassemblé la somme de 10 euros par passager, le prix du voyage.

Je m’adresse au jeune garçon, lui demandant ce qu’il fait. Il m’explique qu’il s’est proposé de remplir les fiches parce qu’il a un stylo et qu’il est heureux de pouvoir rendre service. Ce jeune homme, d’à peine 20 ans arrive de Mossoul, au nord de l’Irak. Il a quitté son pays avec deux copains, parce qu’il a perdu sa famille et que la peur de la guerre lui est devenue insoutenable. Je lui demande dans quel pays il souhaiterait se rendre. Il me dit ne pas avoir d’idée encore, lorsqu’il aura atteint la Serbie, alors il décidera de sa destination. Pour l’instant Il avance « c’est déjà ça », dit-il.

Les équipes de Caritas commencent à distribuer des sacs de vivres aux personnes présentes. Mais l’afflux se transforme rapidement en cohue. En moins d’une heure les rations pour 2000 bénéficiaires sont dispersées. Je croise quelques personnes un sac de vivre à la main qui me disent « Merci de faire tout ça pour nous ! ».

J’apprends qu’un train pour la Serbie sera affrété dans la matinée. Je décide alors de suivre le parcours des personnes qui ont obtenu un ticket aujourd’hui. La toile blanche censée protéger du soleil se transforme en étuve. Les policiers qui bordent un No man’s land, armés de leurs boucliers, laissent passer les groupes au compte-goutte.

Ceux-ci doivent à nouveau attendre, mais cette fois-ci en plein soleil, en file indienne devant les barbelés et face aux soldats du pays voisin. Tout de suite, les grillages et les uniformes kaki font monter la pression d’un cran. Les No man’s land sont des bouts de terrain assez effrayants, non pas tant parce que ce sont des terres inhabitées, mais parce qu’on se trouve alors dans un espace- temps qui peut paraitre indéfiniment long lorsqu’on réalise qu’on est sorti d’un pays dont on n’est pas sûr de quitter, sans être encore garanti en même temps, de pouvoir fouler le sol du prochain.

Matthieu Alexandre/Caritas Internationalis

Matthieu Alexandre/Caritas Internationalis

Je fais des photos de deux groupes qui passent la frontière, le train se trouve à 500 mètres. Pour ma part, je ne suis pas autorisé à les suivre. Je dois passer par le poste officiel, un détour de 30 kilomètres par la route.

Après une heure d’attente, je retrouve les migrants côté macédonien, le train est arrivé. Cloisonnés entres des grillages, ils attendent entassés par groupes de 50, qu’un wagon vide s’arrête devant les deux marches du plancher qui fait office de quai de fortune. Je parcours des yeux cette foule, je reconnais les visages, je connais leurs pays : Afghanistan, Irak, Syrie, j’y ai réalisé plusieurs reportages.

Je me souviens du parfum des rues de la vieille ville de Damas et du souk d’Alep, de l’aridité des montagnes rocailleuses et pelées du nord de l’Irak, de la couleur ocre du sable afghan. D’une certaine manière, ces visages que je capture ne me sont pas anonymes. Des images me reviennent, celles d’un repas à base de yaourt, assis en tailleur sur une paillasse dans une maison en terre cuite au coeur de l’Hazarajat, celle du thé dans le salon d’une de ces maisons au marbre froid soutenue par des piliers démesurés au Kurdistan, un pique-nique dominical sur la pelouse d’un site archéologique près d’Alep.

Je connais l’hospitalité de ces personnes, je l’ai vécue, ils m’ont accueilli sous leur toit souvent à l’improviste, sans jamais poser de questions, toujours avenants.

Matthieu Alexandre/Caritas Intertionalis

Matthieu Alexandre/Caritas Intertionalis

Aujourd’hui, ils sont là, bloqués à la frontière de l’Europe ?

Je cherche un visage connu dans cette foule. Je repense à Algurd, mon chauffeur à Dohuk, à Djawad, l’instituteur de Waras chez qui j’ai dormi une semaine. Que sont-ils devenus ? Ont-ils eux aussi quitté leur pays ?  Sont-ils en marche? Font-ils partie de ses hordes malheureuses? Ont-ils atteint l’Europe tant rêvée? Peut-être certains d’entre eux sont-ils ici, à quelques mètres…

Sous un soleil de plomb, les wagons sont chargés, il n’y a pas d’autre termes. Une fois bondés, chaque porte est gardée par des militaires, et ce, pendant toute la traversée du pays jusqu’à la frontière Serbe, afin de garantir aucune fuite en Macédoine. La probabilité reste faible, les quelques migrants avec lesquels j’ai pu échanger, visent pour la majorité l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Suède comme terre d’accueil.

Soudain, des images de la seconde guerre mondiale me reviennent en mémoire. J’ai comme l’amer sentiment de visualiser -toute mesure gardée- les mêmes scènes, cette fois en couleur. Ne manque que les bergers allemands sur le quai. Comme s’il s’agissait d’un passé qui n’en finit pas.

Le chef de quai souffle dans son sifflet, le train s’ébranle et emporte ces infortunés vers un Eldorado fantasmé.

Matthieu Alexandre/Caritas Internationalis

Matthieu Alexandre/Caritas Internationalis

De mon côté, je reprends la route vers le sud. A mon arrivée à Thessalonique, le soleil couchant se reflète dans la mer Egée de tout son rouge flamboyant. Je me dis que cela pourrait faire une belle photo. Mais je ne suis pas ici pour faire des cartes postales.

Puis je le regarde différemment, assis confortablement dans le taxi qui me mène à mon hôtel, je pense à ses milliers d’âmes en exil qui doivent regarder le soleil se coucher tous les soirs, en se nourrissant tous les soirs d’un espoir de s’en approcher un peu plus le lendemain. peut-être rêvent-ils de se rapprocher de l’Ouest un peu plus chaque jour, de se rapprocher de l’Europe en terre d’accueil. Alors je me dis que fuir vers l’Ouest, c’est suivre la course du soleil. Je me dis que c’est le symbole de la vie en marche.

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