Les traumatismes durables de la guerre en Ukraine

« Les personnes ont tout perdu : santé, revenu, maison et bien-être psychologique », dit le P. Vasyl Pantelynk, de Caritas Dnipropetrovsk. Crédit : Matthieu Alexandre / Caritas Internationalis

« Les personnes ont tout perdu : santé, revenu, maison et bien-être psychologique », dit le P. Vasyl Pantelynk, de Caritas Dnipropetrovsk. Crédit : Matthieu Alexandre / Caritas Internationalis

Cet article contient des détails de torture et de violence liée au sexe. Les noms de Dmitry et Olya sont des noms d’emprunt.

Dmitry est un homme colossal, les sourcils épais comme un mur, les poings aussi gros que des briques et la carrure d’un boxeur poids lourd. Il a l’air d’un dur. Mais quand il parle, sa voix est douce. Alors qu’il raconte son histoire, en un seul long murmure, il ne s’arrête que pour essuyer ses larmes.

Il vivait avec sa femme et leur fille dans une ville minière de la région de Louhansk, dans l’est de l’Ukraine, près de la frontière avec la Russie. Il travaillait à la mine. Ils avaient une vie tout ce qu’il y a de plus normal. « Nous sommes des personnes ordinaires », dit-il.

Les tensions ont commencé à déchirer leur communauté en novembre 2013. Les contestations de Maïdan à Kiev, contre le gouvernement prorusse, ont enraillé les débats. Les chaines de TV ukrainiennes ont été bloquées. La seule source d’information encore recevable était émise de Russie qui, selon ses dires, dépeignait les manifestations comme une révolte fasciste plutôt que comme un mouvement anti-corruption.

On peut facilement s’imaginer qu’avoir la carrure de quelqu’un qu’on voudrait bien avoir à ses côtés dans un combat a été le commencement des problèmes pour lui. Les mineurs étaient recrutés pour s’unir à des groupes anti-Maïdan, mais lui ne voulait rien en savoir.

Ensuite, le gouvernement est tombé, après avoir perdu toute autorité durant une répression sanglante de ce qui était essentiellement des jeunes protestataires. La nouvelle administration était perçue comme antirusse, ce qui a déclenché une violente rébellion dans l’est.

La guerre s’est déclarée dans la région de Dmitry au printemps 2014. Tout d’un coup des milices prorusses bien armées étaient partout. Elles avaient de l’argent pour recruter des hommes. Beaucoup de ses amis s’y sont ralliés. « Beaucoup de criminels aussi se sont engagés » dit-il. « Comme beaucoup de monde, je n’étais pas intéressé. »

Les rebelles ont pris le pouvoir. Ils ont remplacé la police par leurs propres milices. La loi s’est effondrée, et c’est le pistolet qui a commencé à régner. Les combattants n’étaient pas unis, des tas d’éclats de brigades luttant pour le pouvoir et l’argent. Le crime s’est généralisé.

Alors qu’il était à la mine pour un tour de nuit, des hommes armés ont tenté d’entrer chez lui, où dormaient sa femme et sa fille. Cette nuit-là ils n’y sont pas parvenus, mais ils sont vite revenus. Et cette fois, ils ont menacé sa femme avec leurs armes. Un voisin les a achetés en leur donnant du carburant.

« On a expliqué la situation à un des groupes rebelles », dit-il. À sa grande surprise, lui et sa famille ont été portés dans un camp afin d’y rencontrer le commandant des hommes qui les avaient menacés, un célèbre dirigeant de milice. « Il a écouté notre histoire, pris sa mitraillette et a exécuté quatre hommes devant nos yeux », dit-il. « C’était insensé ».

Maintenant Dmitry leur était redevable et aurait dû les rejoindre, mais une nouvelle fois, il refusait. À l’anniversaire de quatre ans de sa fille, des hommes armés sont arrivés chez eux. Dmitry recevait alors un appel au travail, lui disant qu’il avait dix minutes pour les rejoindre, sans quoi sa famille serait tuée.

Olya parle à une travailleuse sociale de Caritas Ukraine à Dnipropetrovsk. Crédit : Matthieu Alexandre / Caritas Internationalis

Olya parle à une travailleuse sociale de Caritas Ukraine à Dnipropetrovsk. Crédit : Matthieu Alexandre / Caritas Internationalis

Olya semble un grain de poussière à côté de son mari. Malgré son manteau d’hiver, elle a l’air congelée. La scène qu’elle dépeint de cette journée refroidirait n’importe qui.

« Des hommes sont arrivés et ont commencé à tirer », dit-elle. « Ils ont mis un pistolet sur le visage de ma fille. Ils ont menacé de me violer en face d’elle, puis de la violer elle. Tout ce que j’ai pu faire, c’est attraper ma fille et crier. »

Quand Dmitry est arrivé, ils se sont saisis de lui, lui ont mis une capuche sur la tête et l’ont porté dans un camp de rebelles, dans la forêt. Quatre jours durant, il a été enfermé dans un petit trou dans le sol. Ils ne l’en faisaient sortir que pour le torturer, huit hommes lui administrant ensemble les coups.

« Tu as la tête dans un sac. Tes mains sont liées derrière ton dos. Tu es emprisonné dans un petit trou dans le sol. Ton corps est tout engourdi, refroidi et endolori », dit-il. « Chaque matin, on te dit qu’on va t’abattre, et chaque soir que la mort serait une échappatoire trop facile. »

Ils voulaient qu’il confesse être un espion ukrainien. Ils voulaient aussi qu’il tue un autre homme. « Ils disaient qu’une pègre m’attendait en ville pour me mettre en pièces si je ne le faisais pas », dit-il. Mais il a résisté.

Olya avait trouvé le camp. Elle travaillait à sa libération. Les rebelles voulaient qu’elle travaille pour eux. « J’avais tellement peur pour mon mari », dit-elle. « Et aussi de ce que ces hommes me feraient, à moi et à ma fille, si je n’avais pas sa protection. »

Chaque jour, ils lui disaient qu’ils le tueraient. Chaque jour, elle revenait, marchant 10 km. Une nuit, elle décidait de prendre un raccourci, pour n’être sauvée que de justesse par un vieil homme. Elle traversait un champ de mines.

Les combattants ont donné un ultimatum à Dmitry pour aller tuer « un sympathisant ukrainien connu ». Il avait deux jours. Mais au lieu de cela, il a averti cet homme, est rentré chez lui, a pris avec lui femme et fille et s’est enfui. Chaque bloc routier était une occasion de terreur, mais finalement ils sont arrivés dans un territoire contrôlé par le gouvernement. « Le soulagement a été extraordinaire », dit Olya.

La famille est ainsi devenue l’une des plus d’un million de personnes forcées de partir de chez elles en Ukraine. Ils se sont ainsi installés à Dnipropetrovsk, dans l’est. Après deux mois de réhabilitation médicale pour Dmitry, ils étaient prêts à redémarrer leur vie. Pour Olya, « c’était comme un bol d’air frais. »

Pour Dmitry toutefois, pas moyen de fuir. « Je n’arrivais pas gérer l’angoisse de ce que ces hommes m’avaient fait », dit-il. « Je voulais les tuer. Je ne pourrai jamais leur pardonner. » Il a menti à sa femme en lui disant qu’il avait été circonscrit et s’était porté volontaire pour rejoindre l’armée.

« Olya est devenue complètement muette », dit Oleh Chabanenko, une psychologue de Caritas à Dnipropetrovsk. « Elle a découvert que son mari s’était porté volontaire, la laissant sans aucun moyen de soutenir leur fille. Déjà traumatisée, le sentiment d’abandon lui a fait perdre jusqu’à la volonté de vivre. »

Caritas lui a fourni une aide humanitaire. Ils voulaient lui donner un sentiment de sécurité. Olya est une chrétienne pratiquante. Caritas l’a mise en relation avec un groupe paroissial, qui lui a fourni un soutien spirituel, afin de lui redonner une sérénité. « Une fois stabilisée, nous lui avons fourni des conseils. Nous avons écouté son histoire », dit Oleh Chabanenko.

« C’est une blessure en Europe qui va se répéter, à moins que nous ne renforcions la paix. Plus tôt nous commencerons, plus grandes seront les possibilités de réussir », dit le président de Caritas Ukraine, Andriy Waskowycz.

Olya va beaucoup mieux. Elle a un travail, des amis, et sa fille va au jardin d’enfants. « C’est difficile de planifier l’avenir. Dmitry revient la semaine prochaine après une absence de 9 jours », dit-elle. « pour le moment, tout ce que je souhaite, c’est qu’il revienne sain et sauf. »

Les noms de Dmitry d’Olya sont des noms d’emprunt.

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