“Je suis déjà un homme mort”
« Les soldats incendient les villages », dit Moilgan, un agriculteur de 29 ans du Sud du Cameroun, qui a trouvé refuge dans l’État de Cross River au Nigeria. « Les gens vivent dans la brousse. Mais rien qu’en marchant au bord de la route, tu risques de te faire tirer dessus. »
Les nouvelles données publiées par l’ONU révèlent que 160 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du Cameroun dans une urgence hélas peu documentée, connue sous l’appellatif de « crise anglophone ». 25 624 autres réfugiés et requérants d’asile ont à ce jour été enregistrés par Caritas Nigeria ; la population paniquée traverse la frontière pour fuir ce que les évêques camerounais décrivent comme une « violence aveugle, inhumaine et monstrueuse ».
Caritas Nigeria a enregistré 25 624 réfugiés et demandeurs d’asile ayant fui de chez eux, au Cameroun, depuis octobre, dans une urgence mal documentée connue sous l’appellatif de « crise anglophone ». Le total pourrait se monter à 40 000 personnes selon l’ONU, avec un nombre de déplacés internes au Cameroun du même ordre de grandeur.
Les déplacés internes et les réfugiés fuient les violences provoquées par la lutte entre le gouvernement et le mouvement indépendantiste anglophone au Cameroun, un pays encore tiraillé entre ses anciens territoires français et anglais. Les batailles en cours entre soldats et combattants indépendantistes armés ont dévasté les communautés, laissant derrière elles des villages désertés par leurs habitants.
En octobre, des activistes des régions des minorités anglophones du Cameroun ont auto-proclamé la création de la « République d’Ambazonie », au mépris du gouvernement à majorité francophone. Il s’en est suivi des manifestations de juristes et d’enseignants protestant contre l’hégémonie du français dans leurs tribunaux et écoles.
Le gouvernement y a répondu par une forte répression. Quiconque était suspecté de sympathie envers ces activistes était la cible de l’armée, selon le témoignage de survivants arrivés au Nigeria.
Moilgan soulève sa chemise pour nous faire voir une grosse cicatrice. Il a reçu une balle dans la poitrine, et le projectile a manqué de peu son cœur. Son frère a été arbitrairement arrêté en novembre, sous l’accusation de terrorisme. On n’a plus de nouvelles de lui depuis lors.
Certaines personnes se détournent de l’appareil photo : elles craignent des représailles contre leur famille de la part des militaires camerounais, mais Moilgan, lui, regarde droit dans l’objectif. « Tu peux me prendre en photo », dit-il. « Je suis déjà un homme mort. »
« Il ne passe pas une semaine sans que des maisons soient incendiées, des personnes kidnappées ou tuées…C’est la peur qui a pris le contrôle de ce territoire. » écrit Hippolyte Sando de Caritas Cameroun après sa visite au diocèse durement touché de Mamfé, au sud-ouest du Cameroun.