« Je ne m’attendais pas à trouver une telle serviabilité. Ici, je reçois tout ce dont j’ai besoin pour le moment » (Alyona Sushko)

Alyona Sushko, 26 ans, s’est réveillée au son d’un grondement sourd. Les murs de son appartement à Kharkiv tremblaient. Elle pensait que c’était les voisins qui faisaient la fête un peu bruyamment. Son chat Wenya s’est caché sous les couvertures. Au début, rien sur les réseaux sociaux. Ce n’est que lorsqu’un ami l’appelle 10 minutes plus tard pour lui parler des attaques russes que l’étonnement fait place à la peur. En quelques minutes, elle prépare ses affaires les plus importantes. Dans son sac à dos, elle jette en vrac quelques affaires et un peu d’argent. Puis elle se rend à la station de métro la plus proche. Au milieu de centaines d’autres personnes, elle attend, parle au téléphone avec ses amis et sa famille et essaie de comprendre ce qui se passe. Une chose est claire pour elle : elle doit rejoindre sa mère le plus tôt possible. Elle craint aussi que la station de métro n’offre aucune sécurité.

Sa mère Irina, 53 ans, vit de l’autre côté de la ville. C’était un risque que de la rejoindre. Mais elle a quand même osé le faire. Des amis lui ont proposé de l’accompagner. Le son des missiles se faisait maintenant entendre sans interruption. « C’était comme être dans un film », dit Alyona. Elle n’avait jamais connu la guerre auparavant. Lorsqu’elle a atteint la maison de sa mère, elles sont immédiatement allées au sous-sol. Ce n’était pas un abri anti-bombes fortifié. Juste un simple sous-sol. « Il n’y a pas assez d’abris anti-bombes dans la ville », dit-elle. Personne ne l’avait préparée à une telle situation. Elle ne savait pas quoi prendre avec elle, de quoi elles auraient besoin pour les jours à venir. Tous les magasins étaient fermés. Elle a entendu parler d’autres villes où les chaines d’approvisionnement fonctionnaient encore. Mais pas à Kharkiv. Dans le sous-sol, l’air était à peine respirable. Irina et sa mère ne pouvaient pas supporter cela plus de quatre heures de suite. Elles ont donc mis le nez dehors, dans la rue, juste pour prendre l’air. Elles ne se sentaient pas non plus en sécurité dans le sous-sol. Des tuyaux d’eau chaude couraient le long des murs, qui risquaient d’éclater. Les premiers jours, les impacts se faisaient entendre, mais au loin. Elles ont pu aller dans l’appartement de temps en temps pour chercher de la nourriture et des vêtements. Elle a même pu prendre une douche, une fois. Mais le troisième jour, le son des bombes s’est rapproché. Elle pouvait aussi entendre les tanks rouler dans les rues. Au sous-sol, tout le monde était collé à son téléphone. Ils suivaient les nouvelles et voyaient les photos de leur rue détruite dans les médias sociaux. Des messages se sont répandus disant que des soldats russes entraient dans les sous-sols.

Elles ont décidé qu’il était plus sûr de rester dans les couloirs. Là au moins, elles avaient accès aux voies d’évacuation. Alyona ne voulait pas montrer sa peur. Elle voulait encourager les enfants du rez-de-chaussée. Ensemble, ils ont dessiné des images de paix. Cela les distrayait un peu. Le cinquième jour, la nourriture s’est faite rare. Au péril de leur vie, elles ont fait la queue pendant cinq heures pour avoir du pain. Dans cette queue pour le pain, elle a suivi les tentatives diplomatiques pour mettre fin à la guerre. « Tout le monde parlait soudain de paix », se souvient Alyona, « alors que les bombes continuaient à tomber sur Kharkiv ». La panique s’est installée. Elle n’arrivait plus rien faire d’autre que de pleurer. Dans son ancienne vie, elle jouait du piano et du violon pendant son temps libre. Elle aimait sortir avec ses amis et danser toute la nuit. Elle avait un travail qu’elle aimait, dans une entreprise internationale qui créait des modèles 3D pour la construction de bâtiments. Après le travail, elle passait souvent du temps avec ses collègues au bureau. Ils commandaient de la nourriture mexicaine et regardaient des films sur Netflix. Alyona a réalisé que son ancienne vie était terminée. Elle a alors voulu s’échapper. Mais pas seule : elle a essayé de convaincre sa mère de venir avec elle, mais celle-ci ne voulait pas quitter sa ville natale. Les enfants et les mères de l’immeuble avaient besoin d’elle, lui a-t-elle dit. Alyona a fait son sac, le cœur lourd. Une connaissance l’a conduite à la gare. Des milliers de personnes attendaient sur les quais. Personne ne savait quand le prochain train arriverait. Alyona a eu de la chance. Après deux heures, elle a pu monter dans un train qui l’emmenait à Lviv. Pendant 26 heures, elle est restée coincée entre d’autres passagers. Elle pouvait à peine bouger. Tout était sombre. Aucune lumière n’était autorisée pour éviter que le train ne se fasse remarquer dans l’obscurité. Même les téléphones ne pouvaient être utilisés qu’à couvert. Le risque d’être découverts était trop grand. Au loin, elle pouvait entendre des impacts de bombes.

« Un orage », disait-elle -t-elle dit aux enfants qui l’entouraient. Alors qu’ils roulaient vers Kiev, elle a vu les fenêtres brisées des maisons. L’arrêt de deux heures à la gare centrale de Kiev pour prendre d’autres passagers lui a paru une éternité. Lorsqu’elle est finalement descendue du train à Lviv, Alyona s’est tout à coup sentie seule. Des bénévoles lui ont apporté de la nourriture et du thé chaud. Elle a mangé pour la première fois en 26 heures. Elle a attendu neuf heures pour poursuivre son voyage. Elle ne savait pas quelle était la distance jusqu’à la frontière polonaise. Plus tard, elle a appris qu’elle n’était qu’à environ 80 kilomètres. Il lui a fallu 19 heures pour arriver en Pologne. Il n’y avait rien à manger. Les enfants pleuraient. Personne ne pouvait quitter le compartiment. Les portes étaient verrouillées. Le train ne bougeait que de temps en temps. Lorsqu’elle est enfin arrivée à Przemyśl, en Pologne, et qu’elle a vu toute l’aide qui était dispensée, elle avait les larmes aux yeux. Alyona se préparait à devoir dormir à nouveau à même le sol.

« J’ai une certaine expérience avec ça maintenant », dit-elle avec un sourire fugace. Des bénévoles de Caritas Pologne l’ont approchée et lui ont proposé le refuge de l’école élémentaire n°6 de Przemyśl. Elle a accepté l’offre. Les pompiers locaux ont assuré le transport. Avec une famille, ils ont conduit Alyona à l’école. Avec une lumière bleue et une sirène. « Vous êtes des VIP », leur ont dit les pompiers. Alyona a emménagé dans l’un des 80 lits fournis par Caritas Pologne dans la salle de gym. Elle trouve cette aide admirable. Son sac ne contient pas grand-chose. Quelques vêtements, quelques produits d’hygiène. « Ici, je trouve tout ce dont j’ai besoin pour le moment », dit-elle. Alyona encourage les autres. « Chez nous, ils essaient de nous tuer. Je ne m’attendais pas à rencontrer une telle serviabilité », explique-t-elle. Elle comprend déjà un peu le polonais et essaie d’aider à résoudre les problèmes. Comme que Caritas a fourni des psychologues locaux, elle-même soutient une jeune fille qu’elle a rencontrée.

Elle l’aide à parler des choses qu’elle a vécues. Elle s’aide aussi un peu elle-même. Alyona veut se rendre au Canada en passant par l’Allemagne. Son demi-frère vit là-bas, à Montréal. Elle parle assez bien l’anglais, mais elle ne connaît pas le français. Elle a cependant un indéniable talent pour les langues. Dimanche, Alyona est dans le hall de la gare de Przemyśl. Encore une fois, elle doit attendre. Dans cinq heures, son train part pour Rzepin, à la frontière allemande, près de Francfort-sur-l’Oder. Elle est au téléphone avec des amis et sa mère Irina restée à Kharkiv. Les bombardements ont empiré. La nourriture est encore plus rare. Sa mère n’est pas encore prête à quitter la ville. Cela fait peur à Alyona. Elle essaie de la convaincre. Son seul but est d’être réunie en famille. Peu importe où. Bien sûr, dans son pays natal. À 18 h, elle attend dehors sur le quai. Le vent est froid. Le voyage continue. D’abord à Berlin, puis à Düsseldorf. Elle se demande si elle peut espérer le même type d’aide en Allemagne qu’ici en Pologne. Elle enveloppe sa tête dans son écharpe. L’écran affiche un retard de 80 minutes. Alyona hausse les épaules.

Philipp Spalek pour Caritas

Faire Un Don


Merci de votre don généreux à Caritas. Votre soutien rend notre travail possible.

Pray

Caritas brought together a collection of prayers and reflections for you to use.

Se Porter Volontaire

Les volontaires apportent une contribution cruciale à notre travail. Découvrez comment devenir volontaire.